SUR LA PISTE DES HUMANITES PERDUES - LE FEU, PERE DES CIVILISATIONS
Le Feu, père des civilisations
SUR LA PISTE dES HUMANITES PERDUES
Texte et dessins de Michel de ROISIN
LE FEU, « PERE » DES CIVILISATIONS
De même qu'il n'a jamais existé d'hommes sans industrie, il n'y eut jamais d'hommes sans feu. Elément essentiel de toute civilisation, l'usage de celui-ci est le témoignage primordial de la condition humaine, Chaque groupe ayant appartenu notre espèce s'est donc organisé autour d'un foyer, mot qui, aujourd'hui encore, symbolise la famille, cellule initiale de la société.
« Les Oulhamr fuyaient dans la nuit épouvantable. Fous de souffrance et de fatigue, tout leur semblait vain devant la calamité suprême: le Feu était mort. ils l'élevaient dans trois cages, depuis l'origine de la horde; quatre femmes et deux guerriers le nourrissaient nuit et jour.
« Dans les temps les plus noirs, il recevait la substance qui le fait vivre; à l'abri de la pluie, des tempêtes, de l'inondation, il avait franchi les fleuves et les marécages, sans cesser de bleuir au matin et de s'ensanglanter le soir. Sa face puissante éloignait le Lion Noir et le Lion Jaune, l'Ours des Cavernes et l'Ours Gris, le Mammouth, le Tigre et le Léopard ; ses dents rouges protégeaient l'homme contre le vaste monde. Toute joie habitait près de lui, il tirait des viandes une odeur savoureuse, durcissait la pointe des épieux, faisait éclater la pierre dure ; les membres lui soutiraient une douceur pleine de force ; il rassurait la horde dans les forêts tremblantes, sur la savane Interminable, au fond des cavernes. C'était le Père, le Gardien, le Sauveur, plus farouche cependant, plus terrible que les Mammouths, lorsqu'il fuyait de la cage et dévorait les arbres.
« Il était mort! L'ennemi avait détruit deux cages; dans la troisième, pendant la fuite, on l'avait vu défaillir, pâlir et décroître. Si faible, il ne pouvait mordre aux herbes du marécage; il palpitait comme une bête malade. A la fin, ce fut un insecte rougeâtre, que le vent meurtrissait à chaque souffle.., il s'était évanoui... Et les Oulhamr fuyaient dépouillés, dans la nuit d'automne. »
Ainsi, dans son beau roman d'évocation préhistorique, « La Guerre du feu », J.-H. Rosny Aîné (1856-1940) retrace la triste condition de l'Homme privé de son plus indispensable aillé, le FEU, sans qui notre civilisation n'existerait point.
Sans lui, en effet, nulle possibilité d'améliorer son mode de vie, soit par des réalisations d'ordre culinaire, soit par le chauffage, soit par l'éclairage, soit par des procédés da défense, soit encore par des opérations industrielles, telles la cuisson de l'argile, en vue, par exemple, de terminer des travaux de poterie, parmi lesquels doivent être rangés la fabrication des fours (d'importance primordiale aux âges de métaux).
Pour les peuples anciens, le Feu concrétisait le plus merveilleux cadeau des dieux à l'espèce humaine. C'est pour l'avoir dérobé, afin de l'offrir aux hommes, que Prométhée, fils du Titan Japhet et frère d'Atlas, fut cloué sur un rocher sauvage, quelque part dans le Caucase, tandis qu'un vautour affamé lui dévorait sans fin le foie ! Par le don inégalable qu'il fit à l'Humanité (d'ailleurs, selon la légende, créée par lui) Prométhée fut considéré, aux yeux des Grecs, comme le fondateur de la civilisation. L'importance du Feu n'échappa pas davantage aux Romains : ils lui édifièrent des autels, sur lesquels, nuit et jour, veillèrent des prêtresses nommées Vestales. Malheur à celle qui laissait s'éteindre la flamme révérée: la négligente était aussitôt enterrée vive !
DONC, IL N'Y EU JAMAIS D'HOMES SANS FEU !
Ce Feu si indispensable, base de la civilisation et symbole du Foyer, les Hommes l'ont-ils toujours connu ? Autrement dit, a- -il jamais existé une tribu primitive au point de n'avoir jamais eu recours à l'élément d'importance primordiale dont nous sommes, en quelque sorte, les produits ?
Certains explorateurs affirment avoir découvert, quelque part en Amazonie, des groupes humains si près de l'animalité qu'ils ignoraient jusqu'à la cuisson des aliments! Si le fait est exact, il doit, en tout cas, être considéré comme rarissime, les vestiges de la Préhistoire semblant prouver que, depuis les temps les plus reculés, l'Homme a connu et utilisé le Feu : « On considère », a écrit le professeur LeroyGourhan, « avec les outils de pierre taillée, la possession du Feu comme un critère majeur d'humanité. On sait que la qualité d'homme ne s'attribue pas sur les seuls caractères physiques, notre lignée n'est pas interrompue au milieu de l'ère quaternaire lorsque les restes découverts témoignent d'êtres très différents et bien inférieurs aux plus attardés de nos sauvages; ces êtres sont considérés comme humains aussi loin qu'on puisse, en remontant dans le temps, les découvrir avec leurs armes et leurs foyers. » (« L'Homme et la matière », p. 65, Albin-Michel, édit.. 1943).
Comment et où nos plus lointains ancêtres ont-ils acquis la possession du Feu ?
Insoluble mystère !
Peut-être au voisinage d'un volcan déversant sa lave ardente; peut-être au cours d'un incendie de forêt ; peut-être, plus simplement, dans des amas de corps organiques enflammés par décomposition ! Suppositions valables sans soute, mais très hypothétiques, aucun vestige ne nous permettant d'inférer la moindre certitude! Quoi qu'il en soit, nous pouvons avancer, sans risque d'erreur, cette vérité aujourd'hui dûment établie: jamais il n'exista, si primitifs fussent-ils, d'Hommes ne connaissant et n'utilisant le Feu !
CONSTRUIRE UN FEU AUX AGES DE LA PREHISTOIRE: UN LONG TRAVAIL DE PATIENCE !
Comment les Hommes préhistoriques acquéraient-ils le Feu ?
Bien sûr, ils pouvaient, nous l'avons dit, le prélever û l'occasion d'un incendie, d'une éruption, d'une inflammation spontanée de déchets, et l'emporter dans un creux de roseau ou, plus spectaculairement, dans une cage construite pour lui et surveillée nuit et jour par des gardes spéciaux ! Toutefois, il n'éclate pas tout le temps des incendies et des éruptions, et il existe même des endroits où, ni l'un ni l'autre n'aurait pu advenir... Néanmoins, en ces mêmes endroits, des vestiges de foyers ont été exhumés; donc, nos lointains ancêtres habitants ces lieux, non seulement utilisalent le Feu, mais encore SAVAIENT LE PRODUIRE !
Les plus anciens instruments usités à cette fin consistaient sans doute en deux silex heurtés, de manière à susciter une étincelle suffisante pour enflammer une matière aisément combustible. Méthode exigeant une obstination inlassable jointe à une singulière habileté.
Moins hasardeux paraissent les procédés par friction et sciage. Pour expérimenter l'un d'eux, prenez une planche, tracez-y une rainure et, dans celle-ci, d'un rapide va-et-vient, faites mouvoir, en frottant, la pointe d'un morceau de bois grossièrement façonné en crayon. Au bout de quelques heures, il est possible que vous parveniez à enflammer de la poudre de bois disposée au fond de la rainure. J'ai vu réussir l'opération par un géologue américain, arrière-petit-fils de Sioux. Quant à moi, je me suis évertué en vain (peut-être parce que n'ayant point la chance d'être issu d'ancêtres sioux !).
La troisième méthode — de loin la plus efficace ! — consiste à faire rouler, entre les paumes, une baguette dont l'extrémité frotte sur le fond et la paroi d'un trou creusé dans un morceau de bois. Ce procédé — le seul qui m'ait réussi t — m'a permis d'enflammer de la sciure très fine... après quatre heures de persévérants efforts !
Si les Hommes préhistoriques, au cours de leur très longue existence (3 milions d'années !) usèrent vraisemblablement des trois méthodes, il n'est pas douteux qu'ils recoururent longtemps à la première (percussion de silex), dont le principe, si élémentaire semble-t-il, devait inspirer notre moderne briquet !
3 methodes pour créer le feu
1 / Production du feu par percussion de deux silex l'un contre l'autre, méthode la plus primjtive et la plus hasardeuse, la grande difficulté étant de diriger l'étincelle vert la substance combustible.
2 / Méthode par frottement d'une pièce de bois sur le fond d'une rainure où ont été disposées à la fois de la sciure et de l'étoupe. Théoriquement, la sciure portée à incandescence doit enflammer l'étoupe. Procédé d'une singulière habileté
3 / Troisième méthode. Faire rouler une baguette entre les paumes. Cette méthode, dit le professeur Leroi-Gourhan. « est surtout africaine ; du Sahara au Cap on en rencontre une foule d'exemple. De tous les moyens, ajoute le même auteur, c'est sans doute celui qui requiert le plus dextérité ».
SANS FEU, POINT DE VIE HUMAINE POSSIBLE. Une importante invention: le briquet !
Briquet à percussion
L'une des plus grandes inventions: celle d'un instrument permettant de produire le feu à coup sur et sans effort: le BRIQUET. Ci-dessus, un curieux briquet d'indonésie. « C'est un cylindre de bois dans lequel se meut un piston dont l'extrémité porte l'étoupe. En appliquant un choc violent sur le pommeau de l'instrument, on comprime l'air dans le cylindre et l'élévation de température suffit pour porter l'étoupe à l'igiddon. » (André Leroi-Gourhan : L ‘Homme et la matière, p. 68, éd. Albln-Mlchel, 1943).